Imagehttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Portrait_Gandhi.jpg?uselang=fr

« Jean n’est pas un optimiste » : Imaginez quels comportements Jean aurait-il pu adopter pour qu’on déclare cela à son sujet. Pensez-vous plutôt que « Jean voit toujours le verre à moitié vide », « qu’il pense rater un entretien d’embauche avant de l’avoir passé »,  « qu’il voit son avion se crasher avant de décoller », ou « qu’il ne jouera jamais au loto », « qu’il n’osera pas aborder une fille dans un bar », « qu’il n’acceptera pas de prendre soin du poisson rouge de son voisin pendant son mois de vacances annuel » ?

Si votre pensée rejoint les trois premiers comportements, alors il semble que vous ayez agi selon le « modèle de fusion ». Dans ce modèle, le marqueur de négation « pas » et le mot central « optimiste » fusionnent entre eux pour évoquer un même concept de pessimisme. Ce phénomène s’explique par la recherche d’une équivalence positive du terme de base négativé  (Brewer & Lichtenstein, 1975) : dans notre exemple, « pas optimiste » devient « pessimiste » Ce qui permet à une série d’associations congruentes avec « pessimiste » de nous venir à l’esprit.

MacDonald et Just (1989) envisagent le modèle de fusion sous un certain angle. Selon eux, le marqueur de la négation inhibe le terme central pour aboutir à un concept incongruent avec le terme central. Dans notre exemple : « pas » inhibe  « optimiste » pour donner « pessimiste ».

En revanche, si votre pensée rejoint les trois derniers comportements, il semble que vous faites allusion au modèle « schéma-plus-étiquette ». Ici, nous nous focalisons d’abord sur le terme central auquel nous ajouterons par la suite l’opérateur de la négation. Ces deux éléments sont alors dissociés durant ce mécanisme. Les termes qui nous viennent à l’esprit sont incongruents avec la signification globale du message que nous voulons faire passer, mais congruents avec le mot central (Clark & Chase 1972). Dans notre exemple « Jean n’est pas un optimiste », nous pensons à des termes en rapport avec l’optimisme et les négativons ensuite : le comportement « jouer au loto » nous semble optimiste, il nous paraît alors peu probable que Jean l’adopte.

Dans une étude de Fiedler et al., des participants visionnent un appartement rempli d’objets. Des questions leur sont immédiatement posées, portant sur les objets absents de l’appartement. Les réponses données sont généralement correctes. Après une tâche de distraction de vingt minutes, aux mêmes questions les sujets répondent de façon erronée. Il semblerait qu’ils aient annulé le marqueur de la négation pour ne retenir que la présence des objets. Avec le temps, la négation utilisée pour exprimer l’assertion s’estompe et fausse alors la mémoire. Cette étude corrobore avec le schéma-plus-étiquette : le marqueur de la négation est dissocié du terme central et peut disparaître à long terme. Au final, les individus se rappellent de la signification opposée.

« Jean n’est pas flatteur avec les filles. » Alors que Stéphanie vient d’emménager dans son nouvel appartement, elle trouve dans la boîte aux lettres du courrier du précédent locataire. Elle prend contact afin de le lui remettre et ils décident tous deux d’aller boire un verre. Après une longue soirée, lorsqu’il la raccompagne à la porte, Stéphanie plonge ses yeux droit dans ceux de Jean et lui demande « Me trouves-tu belle ? » Jean lui répond alors « Tu n’es pas laide ». Ce soir-là, ils n’eurent pas de relations sexuelles.

Dans la première expérience de Mayo et al. , les chercheurs présentent aux participants la description d’un individu exprimée sous forme soit d’affirmation, soit de négation. Cette dernière est suivie d’une phrase expliquant un comportement. Les participants doivent évaluer ce comportement comme étant congruent, incongruent ou sans rapport avec la description proposée. L’intérêt de l’étude est de savoir si le traitement des comportements congruents est facilité par rapport au traitement des comportements incongruents. Dans notre exemple « Jean n’est pas flatteur avec les filles », son comportement un peu brutal avec Stéphanie serait considéré comme congruent. Un comportement incongruent serait de lui dire « Tu es plus belle qu’une rose en plein épanouissement au printemps ». Tandis qu’un comportement n’ayant aucun rapport avec la description serait « Jean adore nettoyer son nouvel appartement. »

D’après le modèle de fusion, le traitement des comportements congruents avec la négation serait facilité par rapport aux comportements incongruents, alors que d’après le modèle schéma-plus-étiquette, le traitement des comportements incongruents avec la négation serait facilité par rapport à celui des comportements congruents.

Les chercheurs utilisent deux moyens pour formuler la description initiale de façon négative. La première, la négation sémantique, consiste en l’utilisation d’un opérateur de négation tel que « ne…pas » et la seconde, la négation externe, réside dans la non-fiabilité de la source. Dans ce dernier cas, lorsqu’une phrase est présentée en rouge, l’individu doit en conclure que la personne à l’origine de l’énoncé n’est pas une source fiable, il doit donc raisonner inversément.

Pour aboutir à leurs conclusions, les chercheurs utilisent les temps de réponse et l’exactitude des réponses fournies.

L’expérience mène à trois conclusions principales.

Pour commencer, le temps de traitement des négations plus long que celui des affirmations démontre clairement une plus grande difficulté de traitement des phrases exprimées négativement.

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Ensuite, le traitement des affirmations est facilité lorsque le comportement associé est congruent alors que pour les phrases négatives, il est facilité lorsque le comportement associé est incongruent. Dans ce dernier cas, une excellente compréhension de la négation n’empêche pas un temps de traitement plus rapide pour les comportements incongruents avec la phrase négative : nous pensons alors que les sujets se focalisent sur le terme central, négligent le marqueur de négation, ce qui correspond au modèle schéma-plus-étiquette.

Enfin, les différences entre les négations sémantiques et externes n’ont pas été révélées, autant dans le temps de latence des réponses que dans la précision des réponses.

Si nous tenons compte des conclusions de cette expérience mettant en évidence le modèle schéma-plus-étiquette, lorsque Stéphanie s’entend dire qu’elle n’est pas laide, elle peut ne retenir que le terme central « laide » et en conclure qu’elle est repoussante.

D’un point de vue extérieur, la lecture du comportement de Jean ne fait que renforcer sa description initiale « non-flatteur », alors que la phrase  « Tu n’es pas laide » signifierait « Tu es belle ». Le terme « laide » possédant une signification clairement opposée qui est « belle », pourquoi Jean a-t-il utilisé le mot « laide » négativé ?

D’un point de vue social, tous les individus s’accordent sur le fait que la réponse de Jean est congruente avec sa description. D’un point de vue sémantique, elle est considérée comme incongruente : « pas laide » = « belle » = une réponse flatteuse.

Ce point pourrait être mis en lumière par la différence entre les descriptions bipolaires et unipolaires traitées dans la deuxième expérience.

En effet, certains termes ont un opposé clairement défini, comme par exemple le mot « chaud » dont l’opposé est « froid » : nous qualifions ces termes de bi-polaires. D’autres termes, ne possèdent pas de mot opposé, comme par exemple les mots « charismatique », « romantique », « tolérant » : ce sont des termes uni-polaires.

Dans notre vie quotidienne, nous avons tendance à utiliser l’expression « Il n’est pas bête » pour apporter une nuance à la notion d’intelligence et non pas pour dire « Il est intelligent ». Tout comme Jean, le choix de l’utilisation de la négation n’est pas anodin dans la communication. Les auteurs en prennent compte dans leur étude, en divisant les participants en deux groupes. Le premier est tenu de prendre la signification de l’opposé de la négation comme vraie : « pas bête » équivaut à « intelligent ». Le second groupe n’est pas exposé à cette consigne.

La troisième innovation de cette expérience est l’ajout d’un test de mémoire cinq minutes après l’apparition des descriptions. Les chercheurs demandent aux sujets d’écrire les descriptions dont ils se souviennent. Les résultats seront analysés autant sur la forme que sur la signification. Si les participants font l’erreur de transformer la négation en affirmation, alors il semble qu’ils suivent le modèle de fusion : ils préservent la signification de la description mais pas sa forme. S’ils font l’erreur de perdre le marqueur de la négation, alors il semble qu’ils suivent le modèle schéma-plus-étiquette : ils perdent la signification par la perte de la forme (l’opérateur de négation).

La seconde expérience procède de la même façon que la première, en apportant les modifications nécessaires afin de préciser quel modèle théorique est utilisé pour le traitement des négations. Ces trois modifications apparaissent ci-dessus.

La distinction entre termes bi-polaires et termes uni-polaires est révélatrice du modèle utilisé pour traiter la négation. La négation d’un terme bi-polaire entraîne une facilitation positive, c’est-à-dire que les informations congruentes viennent plus vite à l’esprit. Cela met en évidence l’utilisation du modèle de fusion. Par exemple, après la description « Marc n’est pas riche », le concept de pauvreté nous vient immédiatement. En revanche, la négation d’un terme uni-polaire provoque une facilitation négative, les informations incongruentes accèdent à l’esprit plus facilement. Dans ce cas-ci, nous faisons preuve de l’utilisation du modèle schéma-plus-étiquette. Par exemple, après la description « Marc n’est pas charismatique », le marqueur de négation est camouflé et le concept de charisme nous marque.

Dans la tâche de mémoire où il faut reconstituer les descriptions en préservant à la fois la forme et la signification, les participants sont confrontés à plusieurs types d’erreurs. Lorsque la description comporte une négation bi-polaire, les erreurs fréquemment commises par les sujets seraient la transcription du mot bi-polaire négativé en son équivalent positif. Par exemple, au lieu de mémoriser « Pierre n’est pas autonome », le sujet retient « Pierre est dépendant ». Un autre type d’erreur consiste à transformer le terme en son équivalent positif tout en gardant le marqueur de négation. Dans notre exemple cela consisterait à dire « Pierre n’est pas dépendant ».  Lorsqu’au contraire, la description comporte une négation uni-polaire, le sujet pourrait dissocier le marqueur de la négation et le trait central si fortement qu’au lieu de retenir « Olivier n’est pas romantique », le participant retient « Olivier est romantique ».

La contrainte de prendre la signification de l’opposé de la négation comme vraie attribuée à la moitié des participants n’a pas révélé de différence significative dans le traitement. Il semblerait donc que les participants ont une tendance naturelle à faire cela.

En conclusion, nous pouvons dire que la forme affirmative ou négative d’une phrase et sa nature bi-polaire ou uni-polaire déterminent l’impact d’un message négativé sur l’interlocuteur qui le reçoit.

Les chercheurs Mayo, Schul et Burnstein pensent à l’existence d’un schéma permettant de traiter les négations. Lorsque celui-ci est fonctionnel, nous agissons selon le modèle de fusion, lorsqu’il est dysfonctionnel, nous nous en remettons au modèle schéma-plus-étiquette.

Nous pouvons trouver un éclairage sur l’utilisation de la négation d’un terme bipolaire au lieu de son opposé dans les stéréotypes. Chaque terme possède une signification imbriquée dans un stéréotype, par-là implique un éventail de significations associées (Kawakami, Dovidio, Russin, Moll, & Hermsen, 2000). Par exemple : Jean n’utilise pas le terme « belle » car celui-ci est associé à une série de concepts (du charme, de l’élégance, de la jeunesse, de la minceur…) qu’il ne peut accepter en bloc. Il préfère alors dire que Stéphanie n’est « pas laide ».

Comment éviter de telles erreurs de communication ? Comment Jean aurait-il pu donner une tournure positive à son histoire avec Stéphanie ? L’idéal est de se concentrer sur le côté positif, si Jean avait formulé une phrase sous la forme affirmative, l’impact aurait  certainement été positif. Notre langue, telle qu’elle est construite, nous pousse à nous exprimer sous forme d’affirmations accompagnées de marqueurs de négation et ainsi à nous définir en termes de ce que nous ne sommes pas plutôt qu’en termes de ce que nous sommes.

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Références :

Mayo, R., Schlu, Y., Burnstein, E. (2004). “I am not guilty” vs “I am innocent”: Successful negation may depend on the schema used for its encoding. Journal of Experimental Social Psychology, 40, 433-449.